Une affaire à régler...

Circulant avec prudence sur le boulevard chargé à cette heure, Lily approchait de sa destination. Le cabinet d’avocat auquel elle se rendait ne devait plus être qu’à quelques minutes. Malgré la circulation importante, elle circulait avec aisance, sa tenue légère – un jean et un t-shirt – ne la gênant en rien dans ses mouvements. Tout alla alors très vite. Tandis qu’elle s’apprêtait à tourner à l’angle après la Banque, un autre automobiliste lui coupa la route, grillant un feu tricolore. Elle eut juste le temps de faire un brusque écart qui pour ne pas renverser de piétons l’entraina sur le parking de la dite Banque.

Une voiture de couleur violette qui se trouvait garée dans les premières places fit les frais de son embardée involontaire. Une alarme stridente retentit, lui vrillant les tympans. Tandis que le chauffard continuait sa route sans se soucier de ce qui venait de se passer, Lily descendit de voiture pour constater les dégâts. Les passants s’arrêtaient un instant pour s’exclamer sur l’étendue du désastre avant de reprendre leur marche.

En effet la voiture violette, que Lily identifia à son logo comme étant une Porsche, avait plus que souffert. La portière et l’aile côté passager étaient totalement enfoncées. De rage, Lily donna un coup de pied dans la roue la plus proche de sa propre voiture dont l’avant s’encastrait comme une pièce de puzzle sur le côté de la Porsche.

-Et merde ! Fallait que ça m’arrive à moi. Je vais dire quoi au propriétaire de cette voiture moi ?

Tandis qu’elle s’adressait à elle-même, le dit propriétaire s’approchait justement, se frayant un chemin parmi la foule de badauds agglutinés autour de ce qu’on pouvait maintenant appeler des épaves.

Il était là devant elle et il semblait furieux. Il y avait de quoi, sa voiture était réduite à l’état d’un vulgaire tas de ferraille et elle ne savait que trop bien la valeur que la plupart des hommes attachaient à leur véhicule. Son père était pareil quand il était en vie. Il aurait été capable de tuer le premier qui aurait fait la moindre éraflure sur la carrosserie de sa voiture.

Elle détailla le jeune homme qui se tenait face à elle, semblant contenir sa rage avec peine. Elle commença à s’adresser à lui mais la sonnerie stridente de l’alarme couvrait sa voix. C’est alors qu’il la désactiva avec sa clé de voiture et elle put se faire entendre. Nerveuse devant la froideur de son interlocuteur, elle se tordait les mains. Elle commença par bafouiller.

- Je… je suis désolée… je…

Elle se tut un instant. Elle venait de s’apercevoir que la nervosité lui avait fait oublier où elle se trouvait et d’instinct elle s’était exprimée en français. Non pas que parler américain lui posât problème. C’était la langue de sa mère, elle la parlait couramment. Mais cela faisait peu de temps qu’elle était arrivée sur l’île et elle n’avait pas encore perdu ses vieux réflex. Elle respira un grand coup et se reprit.

- Je suis navrée, j’ai perdu le contrôle en voulant éviter un chauffard…

Elle ne bafouillait plus, mais sa voix conservait un léger tremblement, trahissant son manque d’assurance. Il faut dire que la situation dans laquelle elle se trouvait et le regard froid que tournait vers elle le jeune homme ne l’aidaient pas vraiment à se détendre. Elle s’empressa d’ajouter.

- Mais ne vous en faites pas, je paierai pour les dégâts. Attendez je vous laisse mes coordonnées.

Elle se pencha par-dessus sa portière pour attraper son sac sur le siège passager de ce qui restait de sa propre voiture. Elle fouilla à l’intérieur à la recherche d’un papier et d’un crayon.

Lily fouillait fébrilement dans son sac espérant mettre la main sur de quoi écrire. Mais son empressement, le stress de la situation lui faisaient perdre grandement en efficacité et avant qu’elle ait put trouver ce qu’elle cherchait, qu’il prétendait que ce n’était pas nécessaire. Certes comme il le disait très bien lui-même, les assurances étaient là pour ça, mais tout de même.

- J’y tiens, même avec la garantie, au moins pour le dérangement.

Elle reprit sa fouille et finit par mettre la main sur un petit calepin relié de cuir. L’instant d’après, un stylo bille faisait son apparition dans sa main. Elle ouvrit le calepin et en arracha une page. Elle se pencha en avant prenant appui sur le capot de sa voiture pour écrire. Mais malgré ses efforts, le tremblement incessant de ses mains l’empêchait de tracer la moindre lettre. Elle tenta de s’obliger à respirer plus calmement, mais rien à faire.

Sans qu’elle puisse les contrôler, les larmes montèrent, inondant ses paupières. Elles débordèrent, coulant sur ses joues. Elle frappa du poing sur le capot en criant d’une voix enrouée :

- Et merde !

Ses nerfs lâchaient et ses jambes avaient du mal à la porter. Elle se retourna et se laissa glisser sur le sol, utilisant le véhicule comme dossier. Elle prit sa tête dans ses mains et s’obligea à se calmer. Si l’attroupement de badauds s’était dissipé, il n’en restait pas moins quelques curieux qui se retournaient sur elle en passant. Elle détestait se donner ainsi en spectacle. Elle devait se ressaisir. Elle releva la tête et tendit ses mains devant elle. Pas moyen d’arrêter le tremblement.

Elle reposa ses mains sur ses genoux et prit une grande inspiration. Elle ferma les yeux un instant mais les rouvrit aussitôt. Elle ne voulait surtout pas laisser le champ libre à la vision qui tentait de s’imposer à elle. La vision d’un autre accident quelques années plus tôt.

Entre temps, le jeune homme, qui était allé observer sa voiture de plus près, était revenu près d’elle. Sous ses airs froids et arrogants, il ne semblait pas indifférent à son état. Une pointe d’inquiétude peut-être ? Elle n’aurait su le dire. Elle esquissa néanmoins une faible sourire au cas où.

Son ton s’était radouci, il lui tendait un mouchoir. Elle prit le morceau de tissu et s’essuya les yeux. Le tremblement commençait à se calmer, mais ce n’était pas encore la panacée. Elle leva vers lui ses yeux bleus encore brillants des larmes qu’ils avaient versées et dit simplement :

-Merci

Elle se concentra sur sa respiration pour obliger son corps à se détendre. Il était toujours accroupi à ses côtés, attendant visiblement de voir si elle allait bien. Elle ressentit le besoin de s’excuser, de se justifier, mais aussi d’extérioriser les évènements qui venaient de se produire.

-Je… je crois que j’ai eu peur. Vous savez quand on dit qu’on voit sa vie défiler avant de mourir ?... Je… Mes parents sont morts dans un accident de voiture, et j’ai cru que…

Elle se tut. Il n’avait pas bougé. Elle lui rendit son mouchoir avant de poursuivre.

-Excusez-moi. Je viens de démolir votre voiture et maintenant je vous embête avec mes histoires.

Elle fouilla à nouveau dans son sac à la recherche de son téléphone.

-Je crois que je vais appeler un taxi. Tant pis pour les avocats, ils attendront bien un jour de plus.

Elle avait dit cette dernière phrase plus pour elle-même sans pour autant lâcher le regard de son interlocuteur qu’elle devinait derrière les lunettes noires. La crise était passée, le tremblement avait cessé. Son téléphone à la main, elle ne composait pourtant pas de numéro, comme en attente, mais sans savoir ce qu’elle attendait précisément.

Elle prit la main qu’il lui tendait. Son contact était doux et après la froideur du début, sa chaleur la surprit. Elle prit une seconde pour l’observer. Il n’avait pas l’air beaucoup plus vieux qu’elle. A ses mains, elle devina un artiste. Musicien comme elle ? Non, il n’en avait pas l’air. Mais une chose était certaine cependant, sous le masque d’arrogance se cachait davantage de sensibilité.

Il l’aida à se redresser et elle lâcha sa main avec une légère pointe de regret. Elle hésitait à accepter son invitation, elle avait déjà bien trop abusé de son temps, sans compter les dégâts qu’elle avait causés.

-Je ne veux pas vous déranger, j’en ai déjà assez fait.
-Je ne suis pas du genre à proposer des choses qui me dérangent. Pour cela j'ai une boite vocale...

Il semblait sincère, elle se résigna. De toute façon il était peut-être préférable qu’elle ne reste pas seule.

-Bon… dans ce cas.

Elle vérifia qu’elle n’avait rien oublié dans sa voiture et passa la bandoulière de son sac sur son épaule. Elle réalisa qu’elle tenait toujours son téléphone et le rangea.

-Je devais voir les avocats de mon grand-père mais il n’y a rien d’urgent, ça attendra demain.

Déjà il s’avançait sur le trottoir pour héler un taxi. Elle le suivit.